Chronique n°5 – partie 1

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Après « Le Musée des Campagnes » et « Les Fées aux doigts magiques », nous allons publier en fin d’année 2011, un 3e ouvrage : Du meuble de style au mobilier domestique populaire du Massif Central.
La rédaction de cet ouvrage de 800 pages (de plus grand format que le précédent de surcroît) est terminée même s’il nous faut encore supprimer quelque 300 pages (une nouvelle fois nous avons été trop prolixe) et surtout procéder à une sélection des milliers de photos de meubles provenant des différents musées régionaux et de nombreuses collections privées.
Nous profitons de l’occasion pour donner la primeur de la préface de cet ouvrage aux nombreux lecteurs qui nous permettent de publier des livres dont le coût est particulièrement onéreux et qui, à ce jour, sont seulement présentés dans deux librairies (l’une à Paris et l’autre à Saint-Etienne).

PREFACE

Après le « Musée des Campagnes », nous avons renoncé à publier les volumes suivants initialement prévus même si (compte-tenu des quelque deux cents lecteurs qui nous demandent instamment le second tome) nous publierons peut-être les différentes parties déjà rédigées. Les raisons d’ordre matériel qui expliquent ce revirement ne doivent pas occulter un changement d’optique de la part d’un auteur qui se définit -en s’inspirant d’une belle, profonde et finalement si malséante formule de Jean Dubuffet- comme « un écrivain du dimanche qui écrit tous les jours et toutes les nuits » !
En effet, aux antipodes de la démarche « objective » préalablement privilégiée, nous avions voulu donner un « tour » littéraire » à nos propos en postulant que seule l’« esthétisation » de l’art populaire -qui fait frémir les « spécialistes »- pouvait le sauver (muséalement) d’une mort programmée.
Néanmoins, considérant que notre premier volume -monstrueux rejeton enfantée par cette « conception »– constituait un honorable spécimen du Musée des Campagnes, nous avons renoncé aux autres publications sui generis.
Lorsqu’un éditeur nous a invité à traiter du mobilier, nous avons -dans un premier temps- refusé cette proposition. En effet, non seulement il s’agissait d’un thème auquel nous n’avions accordé -dans le cadre de notre musée- qu’un intérêt secondaire tout en considérant notre inaptitude à traiter le sujet.
Que pouvions-nous dire en la matière après le méticuleux descriptif technique de l’« armoire à quatre battants » -datée 1740, du Musée de la Haute-Auvergne- qui tient une grande et longue page de l’ouvrage de Jean-Claude Roc ou du chapitre « Lire le meuble » qui, Note sur le mobilier de Haute-Auvergne (« Patrimoine en Haute-Auvergne », n°11, 2007), décrit sur toutes ses coutures le « buffet Louis XV » du Falgoux (Cantal) ainsi que des analyses relatives aux assemblages des Armoires sculptées (2000) cévenoles auxquelles procède le praticien Daniel Travier ? Notre connaissance de la menuiserie ne se limite-t-elle pas à ce que nous apprit le « Barrichou », un menuisier rural de Roche-en-Régnier (Haute-Loire) dont l’outillage n’excédait pas celui du père Saby, le paysan-cidriculteur du village voisin de Saint-Maurice-de-Roche qui « menuisait » à ses moments perdus ?
Alors que nous avions écrit « pour nous » Le Musée des Campagnes (dont on est très loin d’avoir fait le « tour ») et publié Les Fées aux doigts magiques (à l’intention d’un lectorat plus spécialisé), nous voulions entreprendre l’écriture d’un ouvrage qui, globalement, constituerait la synthèse des deux précédents tout en renonçant, dans une large mesure (cf. « Bibliographie ») aux références romanesques et littéraires régionales qui « décoraient » nos premiers ouvrages. Nous avons d’ailleurs entrepris une ébauche de classement des romans régionaux dans Naissance d’une Odyssée.
En pensant à Giono qui, au lendemain de la guerre et à l’occasion de la mort de sa mère, confia -à l’un des rares proches qui lui restait encore fidèle- « ce qui m’intéresse, maintenant, c’est de faire ce que je sais pas faire », nous acceptâmes d’autant plus facilement la proposition précitée qu’elle s’inscrivait dans le cadre du « folklore matériel » dont nous n’avons cessé de souligner l’importance.
En dépit (ou à cause) de notre parti pris « populaire », nous ferons très souvent référence au livre majeur de Bernard Deloche (tiré d’une thèse soutenue à l’Université Jean Moulin de Lyon) dans lequel l’auteur livre des réflexions sur L’art du meuble (1980) qui -trente ans après la parution de l’ouvrage- suscite plus que jamais l’admiration et l’interrogation du lecteur.
Précisons qu’avant de lire cet ouvrage, nous ne connaissions de Bernard Deloche que Lyonnais, Forez et vallée du Rhône (1982) qui correspondait parfaitement à nos préoccupations régionalistes et populaires. On doit admettre que « L’art du meuble » et « Le mobilier traditionnel » constituent deux ouvrages aux antipodes l’un de l’autre. La chose ne doit pas nous étonner puisque, désormais, l’art populaire appartient corps et âme aux chercheurs « officiels » qui, notons-le au passage, n’ont pas -à quelques exceptions près et souvent « étrangères »- manifesté beaucoup d’intérêt pour notre défunt musée qui avait pourtant le rare privilège de présenter des objets collectées « in situ ».
On ne contestera pas -bien au contraire- à ces chercheurs le triple bénéfice de la très haute valeur intellectuelle, de la qualité de la méthode et de l’étendue de l’érudition mais on se permettra de déplorer que, désormais, le discours sur l’art populaire soit le fait des élites qui, au fond d’elles-mêmes -en dépit des hommages obligés- s’en soucient comme d’une guigne. Nous opposerons -sans sourire aux vieillottes considérations de l’éminent et ancien membre de l’Académie de Metz- les analyses du baron de La Chaise, Le meuble rustique lorrain (« Mémoires de l’Académie de Metz », 1925), et celles de Bernard Deloche. Le premier est à la fois sensible à la géographie, à l’histoire et aux classes sociales :

A travers toutes les époques, lits, armoires, vaisseliers et horloges témoignent invariablement de leur origine. Ceux de Metz sont français, mesurés et discrets. La Seille imitant sa voisine, la Meurthe, nous a transmis des décorations florales de faible relief. La Sarre, resserrée dans ses bois et ses étangs, habille ses meubles français d’une exubérante marqueterie géométrique. La Nied et la basse Moselle se réclament des ornements cossus du Luxembourg. Enfin arrivent parfois à travers les cols des Vosges de riches et pesantes armoires alsaciennes flanquées de colonnettes. En un mot, c’est là une phase de la lutte éternelle de l’esprit latin réalisant la conquête pacifique des esprits …
L’armoire lorraine, conçue dans les pièces basses des logis paysans au XVIIe siècle, fut donc à l’origine trapue et carrée. Les rares exemplaires qui nous en viennent de la Renaissance montrent des décors géométriques, voire des colonnettes qui trahissent encore l’influence allemande. La victoire et la paix française apportant la sécurité et la prospérité dans la vie campagnarde, l’armoire lorraine, dès Louis XIV, entre en plein épanouissement. Elle s’allonge, ses portes s’amincissent et elle se coiffe d’une importante corniche. Le style Louis XV lui apporte les courbes harmonieuses de ses panneaux de portes, lesquels, sous le gouvernement paisible du duc Léopold, rencontrèrent en Lorraine une telle faveur, qu’ils disputèrent longtemps la place aux panneaux du genre antique.

Parallèlement son utilisation éprouvait au cours des habitudes une transformation sensible. L’armoire des pauvres gens de 1660 ne convient qu’au linge et est, en conséquence, une suite d’alvéoles serrées. Souvent elle manque de tiroirs. Ceux-ci n’apparaissent que timidement et en conformité étroite des panneaux. L’armoire du temps de Léopold, svelte et élégante, expose fièrement sur de larges étages sa belle et nombreuse lingerie. L’Armoire de l’Empire, enfin, relègue le linge au placard et se transforme en pendoir, ses tiroirs ne sont qu’un décor inutilisé et sa boîte élégante abrite les jupes de drap, puis les robes de laine et de soie …
Ce caractère de pérennité et de stabilité, ce désir de traverser les invasions pour recréer un foyer nouveau, tels sont bien les deux caractères typiques de la mentalité lorraine. Elle s’est fixée au genre français qu’elle avait définitivement adopté depuis la Guerre de Trente Ans, et les quarante ans de germanisation imposés à la Lorraine annexée en 1871 n’ont fait dans son goût et dans le choix de ses meubles qu’une insignifiante impression. Les quelques spécimens lourds et géométriques importés par les immigrés allemands n’ont pas survécu à la victoire française.

En parcourant les 499 pages bien serrées de L’art du meuble, on constate que Bernard Deloche se contente de procéder à 6 remarques assez brèves qui concernent l’art populaire :

Trois observations résument des remarques importantes formulées par Jean Cuisenier :
1) Interdépendance de l’art populaire et de l’art savant : « pas plus que l’art populaire n’est séparable de l’art savant, l’art savant ne peut être détaché de l’art populaire car, dans leurs rapports mutuels, l’un et l’autre fonctionnent alternativement comme source et comme modèles ».
2) Arts sans artistes et artisans sans arts : caractère à la fois collectif et anonyme de la création populaire dépourvue d’écoles, d’académies, de « commandes nobles » et de « dignités reconnues ».
3) Fonction d’expression du mobilier analysée à partir de la « décomposition » de l’armoire bretonne d’Alain Canevet.

Une remarque relative au fameux « lit-clos » et deux emprunts à Suzanne Tardieu induisent trois observations :
4) Le « lit-clos en alcôve » permet de cérémonialiser  « l’acte sexuel ».
5) La « traite » tout en longueur est à la Picardie ce que le « buffet à glissants » -avec son panneau supérieur de faible hauteur et pourvu de « panneaux à glissière »- est à la Provence. 6) Le buffet à horloge bressan révèle « un étrange lien entre le temps -ou plutôt la mesure sociale du temps- et le repas ».

Nous adhérons entièrement aux deux premières citations de Jean Cuisenier. En effet, « art savant » et « art populaire » fonctionnent de manière tellement interdépendante que le reproche adressé au second -accusé de « contaminer » les styles- s’applique également au premier puisque Bernard Deloche relève cette confusion chez Roubo qui présente (planche 231) « la description en élévation et en plan d’un fauteuil cabriolet où, très curieusement le dessin en élévation de la partie supérieure de la planche figure nettement un siège Louis XV, tandis que la projection en plan de la section inférieure propose plutôt un cabriolet Louis XVI ».
En ce qui concerne le caractère collectif de la création populaire, on se reportera à ce que nous avons écrit -en particulier à partir des remarques essentielles de Patrice Coirault- dans Le Musée des Campagnes (cf. aspect « indivis » de la « création » populaire). On souscrit même à la dernière observation de Jean Cuisenier dans la mesure où elle oppose -implicitement- la « fonction d’expression » du meuble à la « fonction de communication » du langage. Quant aux propos suivants, ils restent assez « convenus » ou plus ou moins discutables et l’on aurait envie de dire que la « traite picarde à horloge » est (également) à la Picardie ce que le « buffet à horloge bressan » (sans parler de son homologue « à horloge de côté ») est à la Bresse, c’est-à-dire un meuble « composite » -somme toute relativement récent- qui particularise ce que l’on pourrait appeler « l’entrée de l’horloge ».
L’indifférence patente de Bernard Deloche eu égard au mobilier populaire apparaît de manière manifeste dans l’opposition entre les « villes » qui doivent gérer les « problèmes de la mécanisation » et la « campagne » confinée dans « la routine répétitive ». D’ailleurs, le mobiliologue n’écrit-il pas que les premières accouchent du « design » alors même que la seconde -dont nous voulons considérer, entre une nuée de vrais « rossignols », les ouvrages les plus signifiants- n’a droit à aucun « chapitre ».
François Dagognet -dans la préface de L’art du meuble relate le caractère mouvementé de la soutenance de thèse de Bernard Deloche : « La foudre est tombée ce jour-là, sur l’amphithéâtre. Bernard Deloche fut vitupéré par les uns et célébré par les autres ». Tout en rendant un juste et insigne mérite à l’auteur (« les vraies thèses ne peuvent pas être soutenues sans provoquer une tempête »), le professeur Dagognet mettait l’accent sur une argumentation qui proposait une Méthode mais qui, en vérité, sous-tendait une Doctrine : « Suis-je d’accord avec la première moisson des résultats ? Que non ! je suis réservé quant à l’éloge du design qui semble s’ensuivre ».
Avouons, d’emblée, que nous ne sommes pas très loin d’accepter au sujet de l’« art populaire » -en termes moins savants et dans le cadre d’analyses des plus empiriques- une part de ce que Bernard Deloche écrit sur le « design » surtout si on veille à conserver la « belle » équivoque du mot « art » qui, d’une part implique un minimum de « technique », et qui d’autre part, sélectionne les ouvrages qui entretiennent -d’une manière ou d’une autre- un rapport avec le « beau ». Dans cette double acception, l’« art populaire » (qui transcende les époques) ne manifeste-t-il pas la singulière aptitude d’un détecteur d’authenticité, d’un « étalon » dont la « parole d’or » serait capable d’affirmer -sinon de mesurer- la valeur esthétique de l’« ouvrage fait œuvre » ?
En citant, une nouvelle fois, les vieillottes mais pertinentes remarques du baron de La Chaise, on constate que le souci de « fonctionnalité » a toujours constitué -avec un bonheur plus ou moins grand- l’exigence première du mobilier populaire dont témoigne l’armoire au plus haut chef :

L’Armoire est le meuble le plus beau, le plus typique et le mieux conservé du mobilier lorrain. Il marque aussi avec le plus d’évidence le caractère monumental que les ouvriers d’autrefois savaient donner à leurs meubles. Nos aïeux, en effet, dressés à la sobriété et au réalisme, construisaient leurs instruments dans un but d’utilité immédiate et visible. C’est justement cette adaptation évidente à leur destination qui donne aux meubles lorrains leur silhouette harmonieuse et monumentale. Tant il est vrai que le décor ne doit être que le serviteur du besoin.

Mais c’est bien de « l’art savant » dont il s’agit et le technomobiliologue s’en remet tout d’abord et très naturellement à la « géométrie » du meuble de l’Encyclopédie et plus encore à celle de Roubo :

(Roubo) consacre un long chapitre à « l’art du trait » dans lequel il expose notamment la théorie des sections coniques et la manière de construire les paraboles et les ellipses ; il étudie la théorie de la pénétration des corps, si importante pour la réalisation des assemblages ou la combinaison des formes générales d’un meuble.

Ainsi, Roubo nous transporte « en plein cœur de la théorie » -aux antipodes de la démarche « spontanée », des approximations et des « géniales » gaucheries qui constituent la raison d’être de l’« art populaire »- là-même où l’empirisme perd tout espoir :

La technologie du meuble prend place dans une conception générale de l’art où le dessin occupe une place centrale, où il représente la clef de tous les arts. Il n’est pas possible de construire un meuble sans l’avoir dessiné rigoureusement au départ, et c’est là que la géométrie intervient en rationalisant cette esquisse préliminaire, en l’arrachant à la contingence d’un tracé approximatif ou livré au hasard.

S’agit-il de construire un fauteuil en cabriolet, ce ne sont que « plans » et « figures » qui déterminent « centre géométrique » et « projection d’ensemble » :

>On a bien affaire à une loi de construction, à une genèse géométrique des sièges dont le modèle est emprunté à une figure simple de la géométrie des volumes, ici le cône ».

La profondeur, le caractère prémonitoire (cf. conception du « design » et analyse de la cybernétique) du texte de Bernard Deloche rendent compte de la volonté de consacrer une large part de cette préface à un ouvrage de lecture difficile, émaillé d’analyses philosophiques, d’arguments parfois sinueux et d’une incessante juxtaposition d’affirmations qui se confortent ou se contestent sans toutefois s’invalider.
Ainsi, on croit que l’auteur fait l’éloge des Arts Déco au sein desquels le « meublier » se fait géomètre en « calculant » et « combinant «  les lignes et les volumes mais il ne s’agit que d’une « pseudo-rationalité », d’un « nouveau formalisme fondé sur une tradition définitivement périmée » et en quelque sorte, d’une géométrie « appliquée de l’extérieur » et non d’une géométrie au service d’un ordre interne.
On pourrait également supposer que l’« ordre » constitue un thème essentiel du style de Ruhlmann mais cet ordre est « surdéterminé » sans pour autant « déterminer les formes » tout en participant, « de surcroît », d’« un processus idéologique », d’un « retour à l’ordre » dans lequel « l’application des motifs ornementaux vaguement inspirés du cubisme se fonde sur une combinaison pseudo-intellectuelle ou intellectualiste au sens péjoratif ». On croit que la notion d’« information » constitue une des « clefs » de l’ouvrage mais Bernard Deloche affirme -après avoir montré que les Arts Déco et le « design naissant » accordent une place « centralisatrice » à l’architecture– que le second conteste les modèles tandis que les premiers (qui pérennisent un modèle ancien) promeuvent une « sous-information », une « information plastique ».
Le meuble est considéré comme un langage mais l’auteur affirme aussi que « l’art n’est pas un langage » même s’il entretient une « parenté étroite » avec lui. D’autre part, Bernard Deloche semble accréditer, tour à tour, l’éventuel caractère esthétique de l’œuvre considérée comme unique au même titre que les productions en série de la « chaîne industrielle » (qu’anticipaient, au demeurant les « répétitions mécaniques du gabarit » du menuisier).
A ce propos, il faut dire deux mots du « Banhauss » qui repense l’architecture en la mettant au service de l’ensemble des activités humaines et dont les réalisations les plus emblématiques -au plan du mobilier- sont certainement celles qui concernent les sièges et qui paraissent combiner les principes de « linéarité » et d’intégration » et l’« accord essentiel avec l’espace »

Relevons quelques thèmes caractéristiques du Banhauss :

1) L’engagement en faveur des besoins des masses laborieuses et la production d’objets réduits à leur plus simple expression tant au point de vue de la facilité d’exécution (mobilier montable et démontable) ; de la pauvreté des matériaux utilisés (acier, contreplaqué) que du caractère pratique de l’utilisation (multi-fonctionnalité).
2) La confusion « art-technique ».
3) Le concours de peintres abstraits comme Paul Klee et Vassily Kandinsky.
4) La constitution des ateliers de métal (cf. objets créés par Marianne Brandt) et de menuiserie qui produit le « fauteuil en lattes » qui met l’ergonomie au service de la fonctionnalité et la « chaise Wassily » dit « modèle B3 » de Breuer.

Le Banhauss illustre le conflit entre l’artisanat et l’industrie. Son fondateur, Walter Gropius 1883-1969) prôna d’abord un « expressionnisme » au cœur duquel il mettait le travail artisanal tandis Theo van Doesburg -qui plaçait le « constructivisme » sous l’égide de la machine- incita Gropius à utiliser des méthodes industrielles
L’œuvre de Pierre Francastel (1900-1970) a certainement joué un rôle non négligeable dans l’effort de « théorisation » auquel procède Bernard Deloche. Il ne saurait, toutefois, être question de résumer une pensée aussi féconde que celle de Pierre Francastel dont Bernard Deloche souligne, à plusieurs reprises, la pertinence des analyses. Retenons un certain nombre d’idées développées par le critique d’art :

1) La sociologisation de l’art (cf. Peinture et société, 1937 et Etudes de sociologie de l’art, 1970).
2) L’art considéré comme langage : dans Le style Empire (1939) -note Bernard Deloche- « Pierre Francastel  a voulu démontrer que l’art est un langage » en ouvrant « la voie à une étude systématique des œuvres d’art par référence au modèle linguistique ».
3) La technique n’est qu’une composante de l’art qui peut produire des « systèmes d’information » lorsqu’elle sort de la routine (cf. L’Art et technique aux XIXe et XXe siècles, 1956).
3) Importance de la figure (cf. La Réalité figurative, 1965).
4) Le cubisme est irréductible à l’une ou l’autre des applications géométriques, il a « créé un nouveau type de configuration » qui a permis à l’homme moderne de réaliser sa modernité (cf.  Histoire de la peinture française, 1955).

On constate que, si Bernard Deloche ne place pas ses analyses dans le « moule sociologique », il souscrit aux autres d’idées précédemment évoquées en privilégiant même – sans la mentionner- une idée-force du célèbre critique d’art : à savoir le fait que, seule, la prise en compte des œuvres les plus actuelles permet de comprendre les œuvres du passé et ainsi de s’ouvrir à une « histoire de l’art » naturellement discontinue.
En effet, Bernard Deloche (qui ne renonce pas à « dérouler », dans une certaine perspective, une histoire de l’art qui ne répète pas l’habituel et arbitraire découpage en différents « Styles » placés sous l’égide des « Louis » successifs) propose une « grille d’analyse » originale. Cette « grille » considère les différentes étapes -à partir de l’architecture considérée en tant que ce notre maître François Châtelet appelait l’« anti-objet absolu » (« objet » en fonction duquel on se « forme » en se « réformant »)- ayant conduit à cette « première perfection » incarnée par le « style Louis XV » dont le caractère parfaitement « homogène » conteste l’appellation réductrice d’« art de transition » :

1) Avec Boulle, la forme reste « architecturale » mais le décor s’inspire du dessin des ornemanistes.
2) Avec Meissonnier, l’apparition d’un « double courant d’atectonique et d’asymétrie » conduit à l’élimination des « procédés de la construction ».
3) La « simplification linéaire » du style Louis XV consacre « l’intégration du dessin à l’art du meuble » en illustrant « la perfection de l’homogénéité ».

On peut également relever, à partir du regard porté sur une période plus récente, trois idées développées par Bernard Deloche :

1- Conception du cubisme tel que l’appréhende Pierre Francastel.
2- Eloge de « l’Art Nouveau » qui porte en lui l’esquisse des principes d’où naîtra le design » : a) « abolition de l’individualité créatrice ». b) « industrialisation de l’art ». c) « homogénéité de la forme et du matériau ».
3- Critique des « Arts Déco » qui, «  bien loin d’être révolutionnaires et de fournir les cadres morphologiques du renouveau intellectuel, cherchent à s’inscrire dans le mouvement d’une tradition ».

GEORGES DUBOUCHET

 

Chronique N°5 du Musée des Campagnes

2ème Partie